18 AVRIL
2023

Un faussaire nommé Felix Feuillet de Conches

Au musée Jean de La Fontaine, nous connaissons bien le nom du baron Félix Feuillet de Conches pour la magnifique collection de dessins du monde entier et des plus grands artistes français du XIXᵉ siècle. Ces derniers illustrèrent à sa demande les fables de La Fontaine. Feuillet de Conches vouait au fabuliste une admiration sans bornes et ce recueil unique était pour son usage personnel, sa collection privée. Ces dessins constituent le plus fameux trésor de notre musée.

Mais nous le connaissons moins sous la facette plus sombre de faussaire en écriture. De son vivant, il fut l'objet de quelques soupçons mais rarement inquiété et jamais démasqué. Comment ses contemporains auraient pu mettre en doute ses documents, autographes, lettres etc...? En effet, il est le chef du protocole au ministère des Affaires Étrangères, décoré à trois reprises, brillant diplomate, ami de tous les artistes en vue et surtout doué d'une culture aussi époustouflante qu'éclectique. Notons qu'en plus, il possède un sérieux culot doublé d'une certaine mégalomanie.

Un grand faussaire qui sévit à la même époque fut un certain Denis Vrain-Lucas qui en huit ans vendit environ 27 000 faux en écriture. Il fut démasqué car il utilisait la naïveté des acheteurs en leur fournissant des lettres de Cléopâtre donnant des nouvelles de leur fils Césarion à César, de Marie-Madeleine écrivant à Lazare ressuscité. Il invente également la correspondance de Galilée, Jeanne d'Arc et même Judas, rédigée dans une sorte de vieux français de cuisine. Il fut condamné par la justice, mais ses acheteurs furent moqués toute leur vie pour leur sottise.

Les faussaires ont existé de tout temps. Louis XIV avait à son service des "secrétaires de la main", ces employés imitaient parfaitement l'écriture du roi. Celui-ci n'avait ainsi plus qu'à se contenter de signer les courriers. Cette pratique était tout à fait courante jusqu'au XVIIIe siècle. Notre baron Feuillet de Conches, qui d'ailleurs s'était inventé son titre de noblesse, faisait des faux très vraisemblables, très bien renseignés. Il publiera entre 1864 et 1873, six volumes sur Louis XVI et sa famille remplis de manuscrits inédits. Ne pas posséder les archives nécessaires ne lui pose aucun problème : il les invente alors de sa propre main. Il faut dire qu'il imite à la perfection toutes les écritures possibles. Pire encore, lorsqu'il emprunte des documents dans les grandes bibliothèques pour ses travaux, il garde les originaux en les remplaçant par des copies très bien imitées. Il se constitue ainsi un fonds exceptionnel. Il prônait l'utilisation de documents originaux pour mieux rendre compte de la réalité historique et était donc toujours à la recherche d'écrits authentiques, surtout pour lui-même. Il mettra en vente des faux en écriture de Montaigne, Racine, Boileau, Mmes de Montespan, de Maintenon, Joséphine de Beauharnais, bref, de tous les personnages historiques recherchés sur le marché. Lettres évidemment rédigées et signées par ses soins. Chacune de ses ventes est accompagnée d'un certificat d'authentification signé par lui-même. Acheter une lettre historique chez un homme d'un tel renom, historien, spécialiste de peinture, journaliste et de haute position sociale était croyait-on le plus sûr moyen de ne pas se tromper ! Aujourd'hui, dans les collections et bibliothèques, lorsqu'un écrit est accompagné de ce fameux certificat, c'est la quasi certitude qu'il s'agit d'un faux. Il en existe encore beaucoup dans les plus prestigieuses collections ainsi que dans les documents d'illustres familles.

La demande pour les lettres de Marie-Antoinette et Louis XVI était importante et Félix Feuillet de Conches répondit largement à la demande de tous les nostalgiques de l'Ancien Régime. Cela lui permit de vivre d'une manière raffinée, d'enrichir ses propres collections, et surtout comme la majorité des faussaires de jouer avec ses acheteurs pour mieux les duper. En octobre 2020, lors d'une vente aux enchères, étaient mises en vente trois pages soi-disant de la main de La Fontaine présentées comme le brouillon original de l'Ode pour la Paix adressée au Roy avec ratures et corrections. Il était bien précisé cependant qu'il s'agissait de l’œuvre d'un certain Feuillet de Conches. Les spécialistes en écritures lorsqu'ils trouvent un document de ce genre, le nomment d'ailleurs en termes de métier, "un petit Feuillet de Conches". Rassurons-nous, sa collection personnelle de dessins est on ne peut plus authentique. Elle nous est enviée dans le monde entier. D'ailleurs, les faux qu'il inventait étaient pour lui un moyen de l'enrichir pour satisfaire son amour infini de La Fontaine.

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