2022
Quel lecteur était Jean de La Fontaine
La Fontaine aimait les livres, en témoigne l'immense culture dont son œuvre foisonne.
Cet esprit brillant s'est formé grâce à la lecture assidue des livres des Anciens ou de ceux de ses contemporains. Toutes ses expériences livresques devaient nourrir l'inspiration de ses propres écrits. C'est entre les pages assidûment lues qu'il trouvera son souffle poétique. Sa culture, sa sensibilité réaliseront cette association entre l'art et la réalité qui donne à son œuvre une grâce naturelle. Ce cheminement vers l’œuvre finale prit, pour lui, des dizaines d'années, en effet, il publiera ses contes à l'âge de 42 ans et ses fables à 47 ans.
Les premières expériences de lecture furent marquantes pour ce jeune homme du XVIIᵉ siècle. Celle du grand succès de l'époque L'Astrée d'Honoré d'Urfé, roman d'amour pastoral (5000 pages) aux multiples méandres, restera son livre de chevet. "Étant petit garçon, je lisais son roman/ Et je le lis encore ayant la barbe grise." Ce livre n'était pas sans lui rappeler sa vie à Château-Thierry où adolescent puis Maître des Eaux et Forêts, il fut très souvent au contact de la nature.
Il prit ainsi goût à l'observation et peut-être à une certaine solitude. Il saura ainsi donner à son œuvre une touche simple due autant à son expérience livresque et poétique qu'à l'empreinte laissée par les paysages de son enfance. En 1659, quand Nicolas Fouquet lui commande une œuvre à la gloire de Vaux-le-Vicomte, il est essentiellement inspiré par les jardins et les fontaines.
Lorsque La Fontaine se lance dans l'écriture de ses contes libertins, la faconde des auteurs italiens comme Boccace et l'Arioste l'inspire. Mais surtout il se place dans le sillage de François Rabelais qui avec Pantagruel et Gargantua procurera à La Fontaine le verbe pittoresque et coloré qui se marie si bien à ses contes. "Ce n'est ni le vrai ni le vraisemblable qui font la beauté et la grâce de ces choses-ci : c'est la manière de les conter." Ces récits gaillards agrémentés de tours et de détours galants n'avaient qu'un seul but, plaire et plaire encore.
La Fontaine grand latiniste, dans la querelle entre les Anciens et les Modernes, prit parti pour les premiers, tout comme Boileau et Racine. Cela ne l'empêchait pas de s’intéresser et de participer au mouvement des idées nouvelles. Ainsi, il puise son inspiration dans les fables, entre autres, d’Ésope et de Phèdre pour réécrire ses propres fables, y insufflant richesse et vivacité, mettant au goût du jour une tradition venue des Anciens. Il y ajoute aussi un tour naïf qui lui vient de la lecture du poète médiéval Clément Marot. "Marot par sa lecture m'a fort aidé j'en conviens."
L'érudition de La Fontaine en fait un galant homme, apprécié des salons brillants et qui savait donner aux Anciens des attraits nouveaux. La fréquentation d'autres écrivains a certainement eu une influence sur son œuvre : Jean Racine était le cousin par alliance de La Fontaine. De dix huit ans son cadet, Racine était très attaché à son cousin qu'il a fréquenté jusqu'à ses derniers jours. L'influence était évidente, l'un demandant à l'autre de donner son opinion sur leurs œuvres en cours. Ils devinrent complémentaires, l'un créant des tragédies, l'autre "une comédie à cent actes divers". Quant à Molière, il fait dire à Louison dans Le Malade imaginaire "Je vous dirai/le conte de Peau d’Âne ou bien la fable du Corbeau et du Renard qu'on m'a apprise depuis peu." Sans s'être réellement fréquentés, ils avaient l'un pour l'autre une véritable estime. Charles Perrault comptait parmi ses meilleurs amis, il fut le plus fidèle soutien de La Fontaine lors de son élection difficile à l'Académie française.
"Souvent à marcher seul j'ose me hasarder. On me verra toujours pratiquer cet usage; mon imitation n'est point un esclavage.[...] Térence est dans mes mains, je m'instruis dans Horace; Homère et son rival sont mes dieux du Parnasse.[...] Plein de Machiavel, entêté de Boccace, j'en parle si souvent qu'on en est étourdi."