19 JANV.
2023

Quand Sacha Guitry se prend pour Jean de La Fontaine

En décembre 1917, Sacha Guitry joue pour la première fois sa pièce en quatre actes « Jean de La Fontaine » au théâtre des Bouffes-Parisiens.

Il s'est fort bien documenté sur sa vie et son œuvre et les similitudes entre eux ne manquent pas : grands amateurs de femmes, travailleurs infatigables, vision mélancolique de l'humanité...

Avec son habituel ton à la fois grave et léger, Guitry joue le rôle de La Fontaine.

Durant le premier acte, il met en scène son épouse Marie, son oncle Jannart et son cousin Poignan dans un décor reconstituant le salon donnant sur la cour de la maison de Château-Thierry. Marie de La Fontaine s'y plaint de son mari volage, arguant que dans chaque rue de la ville il y a un mari trompé !

Dans l'acte deux on y retrouve La Fontaine à Paris, entouré de livres et de bustes représentant ses auteurs antiques préférés.

Dans la chambre que Madame de La Sablière mettait à sa disposition se trouvait bien ce décor. De même, il aimait beaucoup la musique, surtout le clavecin et donc Guitry fait revivre Marie-Françoise Germain (dite le Rossignol dans la pièce) grande claveciniste très admirée de La Fontaine. Le rôle est joué par Yvonne Printemps qui n'est pas encore l'épouse de Guitry mais sa maîtresse, alors que le rôle de Marie est joué par Charlotte Lysès, son épouse donc, à la scène et à la ville.

Dans l'acte trois, au désespoir du poète, le Rossignol s'est enfui avec « le beau florentin, musicien aux yeux noirs. » Il s'agit de Lully bien sûr, honni par La Fontaine. Mais en réalité, Lully était très laid et il préférait les garçons !

Guitry par la bouche de La Fontaine déplore que les fables ne servent qu'à exercer la mémoire des écoliers quitte à devenir une sorte de pensum alors qu'il donne à son travail ce qu'il a de meilleur. Au quatrième et dernier acte apparaît la fameuse courtisane du grand siècle, Ninon de Lenclos vieillissante, qui vient reprocher à La Fontaine son inconstance !!!

« Vous prenez tout, les femmes de chambre, les bourgeoises, les paysannes.... » « Je ne suis intransigeant que sur les questions d'âge ! »répond-t-il, mufle. Il compare ses rhumatismes à une épouse : «cela fait du mal, cela tourmente, se déplace sans cesse mais est toujours là. ». Pour se conformer à la morale de l'époque la pièce se termine par une fin qui aurait étonné La Fontaine : il retombe amoureux de sa femme ! Cette fin n'est pourtant pas annoncée dans l'acte trois « Le premier homme qui s'est marié, mon Dieu, il n'y a rien à lui dire...il ne savait pas...mais, vraiment, le deuxième est inexcusable ! »

On ne sait qui parle, de La Fontaine ou de Guitry . Ainsi va son théâtre, brillant, truffé de bons mots mais aussi particulièrement misogyne et obsédé par les histoires d'adultère. La pièce écrite juste avant celle-ci s'intitulait « Chez les Zoaques », il s'agissait d'une tribu imaginaire où les femmes étaient infidèles sans que personne n'y trouve à redire et où les époux n'éprouvaient aucune jalousie. Aucun doute que Guitry ait lu avec délice les contes de La Fontaine et qu'il ait épousé sa philosophie. Je dirais même mieux : encore un homme de plus-sans ne citer personne-qui se prend pour La Fontaine !

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