2022
Le mariage de Jean de La Fontaine, un mariage ordinaire au XVIIe siècle
A l'époque de Jean de La Fontaine, le mariage est une chose trop sérieuse pour être laissée au bon vouloir des jeunes gens. Les futurs mariés se montrent soumis au choix de leurs parents, c'est la tradition.
On se marie dans sa classe sociale et même entre familles de même corps de métier, il en va de l'ordre social. Il s'agit donc d'enrichir le patrimoine de la famille grâce à la dot de la jeune fille ou même à ses espérances d'héritage. Cela est valable quelque soit la condition sociale des mariés, qu'il soit manants, bourgeois ou nobles, le mariage a une haute importance stratégique . On ne va pas trop loin pour chercher un conjoint, au-delà de quelques lieues les gens sont considérés comme des étrangers.
Certains fils de nobles désargentés sont mariés à des filles de moindre condition mais à grosse fortune. Madame de Grignan, décida de marier son fils à la fille d'un fermier général pour renflouer la fortune familiale et s'en explique ainsi : "Il fallait bien de temps en temps du fumier sur les meilleures terres"
Pour la dot des filles les plus favorisées, en plus de l'argent et des terres, on joignait des meubles, un trousseau complet fait de vêtements et de linge de maison et même les linceuls ! La mariée se vêtait de couleurs vives, d'une couronne de fleurs et d'un voile depuis le Moyen Age. La tradition du mariage en blanc est relativement récente puisqu’il ne se fera qu'à partir de la fin du XIXᵉ siècle.
Et l'amour dans tout cela ? Il n'est pas compris dans le mariage, il faut le trouver en dehors... Généralement, dans les familles riches, c'est le premier fils qui compte, il sera l'héritier des biens et du nom. Les couples vivant généralement à leur guise et les tests de paternité n'existant pas, les enfants cadets à la paternité incertaine seront mis aux armées, au couvent ou dotés et mariés. Il y a bien sûr des maris jaloux, mais cela est très mal vu surtout dans la noblesse. La Fontaine en parle d'ailleurs abondamment en s'en moquant sans détours, particulièrement dans son conte La Coupe enchantée : "Les maux les plus cruels ne sont que des chansons//Près de ceux qu'aux maris cause la jalousie". Et encore " Quand on l'ignore, ce n'est rien ;//Quand on le sait c'est peu de chose."
A la Renaissance, la justice populaire sévissait également contre l’adultère, mais, par un curieux renversement, s’en prenait, non pas aux coupables, mais à la victime : le mari trompé étant promené sur un âne, à l'envers, tenant d'une main la queue de l’âne et de l'autre une quenouille. Pendant le carnaval, il est hué lors de "charivaris".
Antoine Furetière (1619-1688) dans son livre Le Roman bourgeois, explique à quel point les familles sont friandes de charges, car dit-il, c'est "le chausse-pied du mariage". Ainsi, il propose une échelle de tarifs pour trouver facilement le bon parti. En bas de l'échelle, une fille ayant une dot de deux mille livres par exemple, trouvera un marchand du Palais ou un petit commis. A l'autre bout de l'échelle, avec cent mille écus, elle pourra prétendre à un vrai marquis, un surintendant. Si elle possède une dot au-dessus de vingt mille livres, elle trouvera un conseiller du Trésor ou des Eaux et Forêts. Voilà qui correspond parfaitement à la situation de notre Jean et à la dot de son épouse Marie Héricart.
Marie est originaire de la Ferté Milon, ce qui n'est pas si loin de Château-Thierry. Elle a reçu une belle éducation et s’intéresse à la littérature, mais avant tout, sa dot est plutôt confortable.
Lorsqu'il se marie, Jean n'a pas encore de charge et nul ne sait ce qu'il fait pendant quasiment cinq années. Il est sûr qu'il trouve d'agréables occupations auprès de dames de Château-Thierry car il est probable que la décision de son père de le marier vient d'un scandale qu'il fallut étouffer dans l’œuf. En effet, Jean faisait une cour assidue à la femme du lieutenant général du roi, premier officier de Château-Thierry (aujourd’hui nous dirions l'épouse du maire de la ville). Il arrive même une nuit, après avoir kidnappé le petit chien aboyeur de la dame, à pénétrer dans son logis et à se glisser dans sa chambre pendant l'absence du mari. La dame en fut quitte, parait-il, en acceptant quelques baisers sur son pied qui dépassait des draps. D'autre part, Marie Héricart était assidûment courtisée par un de ses cousins, très désargenté, Antoine Poignant, ce qui déplaisait fort à sa famille. Tout était donc prêt pour que ce mariage se fasse rapidement et dans les règles imposées par les parents des deux partis. On sait que Jean ne fut pas un bon époux, lassé de son épouse au bout de deux ou trois ans de mariage, allant chercher partout ailleurs plaisir et volupté. "Deux ans de paradis s'étant passé ainsi/ L'enfer des enfers vint ensuite". C'est un thème qu'il aime traiter, s'étonnant toujours de ce que les humains s'exposent hardiment aux mariages hasardeux pour s'en repentir ensuite comme dans la fable Le mal Marié : "J'en vais alléguer un qui, s'étant repenti, Ne put trouver d'autre parti,/ Que de renvoyer son Épouse /Querelleuse, avare, et jalouse : /Rien ne la contentait, rien n'était comme il faut :/ On se levait trop tard, on se couchait trop tôt, /Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose; /Les Valets enrageaient,/ l’Époux était à bout" ; ou dans Belphégor : " Dès que chez lui le Diable eut amené /Son épousée, il jugea par lui-même /Ce qu'est l'hymen avec un tel démon :/ Toujours débats, toujours quelque sermon /Plein de sottise en un degré suprême".
Quelques dates :
NAISSANCE de Jean le 8 juillet 1621 et de Marie le 26 avril 1633
MARIAGE le 10 novembre 1647 de Jean (26 ans) et de Marie (14 ans)
NAISSANCE de Charles 1653
SÉPARATION de bien 1658, Marie a 25 ans
MORT de Jean 16 avril 1695 (74 ans) MORT de Marie 1709 (72 ans)