2020
La duchesse de Bouillon, une protectrice galante et libertine
Mazarin fit venir d'Italie ses dix neveux et nièces dans le but de leur donner une position sociale digne de leur oncle. Pour les garçons ce sera par l'achat de titres et de charges et pour les filles par des mariages avec de très beaux partis.
Marie-Anne est la plus jeune, elle arrive en France en 1655 à 6 ans. Elle est déjà promise à Maurice-Godefroy de la Tour d'Auvergne, Seigneur de Château-Thierry, Duc de Bouillon qui a dix ans de plus qu'elle
. Anne-Marie est donc mariée à treize ans avec un mari qui mène une carrière militaire aux frontières de la France et jusqu'en Hongrie. Elle possède un hôtel particulier à Paris et sa résidence de campagne au château de Château-Thierry. C'est là que s'ennuyant un peu, le prévôt lui fait rencontrer un certain Jean de La Fontaine qui saura bien vite la charmer en lui contant des histoires à son goût : des contes libertins. Elle le recevra ensuite à Paris et le présentera à tout son entourage, l'appuyant, l'encourageant. La Fontaine lui offrira ses vers en lui donnant le nom d'une déesse "Qu'Olympe a de beautés, de grâces et de charmes!/ Mortels aimez-la tous, mais ce n'est qu'à des dieux / Qu'est réservé l'honneur de lui rendre les armes."
Tout comme La Fontaine, mais pas pour les mêmes raisons, Anne-Marie n'est pas la bienvenue à Versailles. Si le roi a plus qu'apprécié ses sœurs Olympe et Marie, il n'aime guère les manières sans-gène, le verbe haut, le manque de retenue de la benjamine. Qu'importe, elle deviendra la reine des fêtes de Paris. Les gravures de mode de l'époque utilisent son nom et son image pour répandre le goût de nouvelles toilettes, particulièrement les déshabillés négligés.
Très tôt après son mariage, suite au décès de sa sœur Laure, elle recueille ses neveux Vendôme à peine plus jeunes qu'elle. Elle se chargera de leur faire connaître tous les plaisirs et sera folle du cadet Philippe, qui deviendra Grand Prieur. Son frère fit une belle carrière militaire et tous deux furent de grands débauchés. La Fontaine était invité régulièrement dans leur hôtel du Temple pour des soirées de plaisir et de luxe.
Marie-Anne a tant d'amants que l'oncle de son mari la fait enfermer au couvent pendant une année. Année qu'elle mettra à profit pour faire enrager les nonnes. À sa sortie, son époux pour la consoler lui offre une maison donnant sur la Seine où elle continuera sa vie de libertine. Cette réputation de mœurs légères était si grande que Louis XIV fit la réflexion, alors que la cour discutait du projet de déniaiser le Dauphin, que personne mieux que Madame de Bouillon ne pouvait instruire son fils des "réalités de l'amour".
En 1680, la voici gravement compromise dans l'affaire des poisons, accusée d'avoir tenté d'empoisonner son ennuyeux mari pour épouser son neveu Philippe. Elle est priée de se présenter devant la Chambre Ardente, ce qu'elle fait avec à son bras d'un côté son époux et de l'autre son neveu et amant. On la questionne car elle a fréquenté assidûment l'empoisonneuse La Voisin. Elle répond aux questions après avoir retiré très lentement ses gants : "Avez-vous vu le diable? " "Non pas alors, mais je le vois à présent, il est laid, vieux et déguisé en conseiller d’État". Sur ce, elle prend congé en s'exclamant à la cantonade : "Vraiment, je n'eusse jamais cru que des hommes sages pussent demander tant de sottises."
Elle est relaxée mais le roi apprenant ses moqueries l'exile à Nérac. Elle rejoindra sa sœur Hortense en Angleterre où toutes deux provoqueront le désordre et la licence de la cour d'outre Manche. Pendant son exil elle n’oubliera pas La Fontaine qu'elle priera de venir briller à la cour d'Angleterre. Mais La Fontaine déjà âgé et peu porté aux voyages ne quittera jamais la France. Elle met à sa disposition un appartement au château car il a vendu sa maison mais doit encore régler quelques affaires à Château-Thierry. Il la remercie dans un lettre "Je n'imagine pas qu'il y ait au monde une vue plus agréable que celle-ci" ou encore, ceci prouvant qu'il y fait de longs séjours " Je vous supplie très humblement de me permettre de cultiver des fleurs dans le parterre d'en haut".
La Fontaine lui dédicacera deux de ses œuvres, d'abord: en1669 Les Amours de Psyché et Cupidon. Récit merveilleux où une jeune fille croit être mariée à un monstre alors qu'il s'agit de l'Amour lui-même, le tout entrecoupé du récit de quatre amis visitant Versailles. Le succès fut mitigé.
Puis en 1682 Le Poème du Quinquina, poème scientifique vantant un remède à la mode. La chose est nouvelle pour lui car il confirme "Si je m'y perds, au moins j'aurai beaucoup osé"
. La duchesse de Bouillon mourut à Clichy d'apoplexie en 1714 elle avait 63 ans.
Gardons ces vers délicieux de La Fontaine sur sa chère Duchesse : "Peut-on s'ennuyer en ces lieux/Honorés par les pas, éclairés par les yeux/D'une aimable et vive princesse,/A pied blanc et mignon, à brune et longue tresse,/Nez troussé, c'est un charme encore selon mon sens."