La Fontaine ou le goût de la diversité

Il tente l’expérience du théâtre avec entre autres L’Eunuque, qui passera d’ailleurs inaperçu. Il se fait librettiste d’opéra sans plus de succès. Port Royal lui passe une commande sur un sujet religieux : il écrit Le Poème de la Captivité de Saint Malc  entre deux publications de contes libertins. Sa protectrice la duchesse de Bouillon lui demande une œuvre que l’on nommerait aujourd’hui publicitaire, il se met au travail et nous livre  Le Poème du Quinquina : « Le Quina s’offre à vous, usez de ses trésors.»

Souvent dans sa vie les nécessités matérielles l’obligent à obéir aux caprices des grands : Pour Mignon poème purement alimentaire, encensera le petit chien de la duchesse douairière d’Orléans : «Elles te font mille caresses/Tu plais aux dames, aux princesses/Et si la reine t’avais vu/Mignon à la reine aurait plu.» Imagine-t-on de nos jours un poète écrire des vers sur un sujet purement scientifique ? Il le fait : Il défend l’idée que les animaux ont une âme et sont intelligents preuve à l’apppui, à l’inverse de la théorie de Descartes dans son fameux Discours à Mme de La Sablière.

Et dans ses fables ? Nulle n’est semblable à l’autre car le ton change sans cesse : elles peuvent être épiques (Les Animaux malades de la peste), historiques (Le Paysan du Danube), narquoises (Le Mal Marié), flatteuses (Simonide préservé par les Dieux : «  on ne peut trop louer trois sortes de personnes:/Les Dieux, sa maîtresse et son Roi »), élégiaques (Le Songe d’un habitant du Moghol) ou lyriques (La Mort et le Bûcheron)…

La Fontaine utilise pour la plupart de ses fables les vers libres qui varient à l’infini, ce qui leur donne une légèreté incomparable, et cela ne l’empêche nullement d’utiliser l’alexandrin tout au long de son poème lyrique Adonis par exemple, pour nous livrer des vers d’une somptueuse beauté.

Qu’est-ce qui pousse La Fontaine à être si divers ? Le changement, on l’a vu, dominera toute sa vie et toute son œuvre. Il dévoile au lecteur son refus de se tenir à un seul genre littéraire dans sa comédie Clymène : «Sir Acante (La Fontaine) est un homme inégal à tel point/ que d’un moment à l’autre, on ne le connait point.»

Impossible donc d’enfermer La Fontaine dans une définition. Son esprit inquiet change à tout moment, son inconstance en toutes matières lui tient lieu de guide. Pourquoi devrait-il choisir et donc se limiter ? Il est vraisemblable que la peur de l’ennui soit un moteur puissant qui le pousse à aller tout le temps vers la nouveauté.

Ainsi dans Les Amours de Psyché : «Car à la fin on s’ennuie de tout, et des belles choses comme du reste.» Ou dans la fable L’Aigle et la Pie : « Si le maître des dieux assez souvent s’ennuie, lui qui gouverne l’univers/J’en puis bien faire autant, moi qu’on sait qui le sert.» Se fixer lui est donc difficile, se tenir à un seul sujet impossible : il a du mal à livrer à Fouquet sa suite de poèmes sur la beauté de Vaux, il n’écrit pas le troisième acte de Galatée et s’en explique dans l’avertissement «L’inconstance et l’inquiétude qui me sont si naturelles m’empêchent d’achever les trois actes à quoi je voulais réduire ce sujet. » Inconstant dans sa vie, inconstant en amours, inconstant dans son œuvre, il nous conduit selon ses envies et son goût vers une diversité toujours renouvelée, toujours enchantée :

«Même beauté, tant soit exquise, /Rassasie et soule à la fin. /Il me faut d’un et d’autre pain : /Diversité c’est ma devise.» On ne peut être plus clair que dans ce prologue du conte Le Pâté d’anguille qui se termine ainsi : «Tant qu’il vécut, Diversité fut sa devise.»

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