La Fontaine ou la rêverie égyptienne

Le poète n'avait pas besoin de stimuler son imagination en allant visiter quelque contrée exotique : Château-Thierry, Reims, Paris ou Saint Mandé suffisaient amplement à son inspiration.

Ainsi donc en 1659 lors d'un de ses séjours à Saint- Mandé, chez son protecteur Nicolas Fouquet, La Fontaine lui ayant demandé audience fut introduit dans sa magnifique antichambre. Cette pièce jouxtant la bibliothèque riche de 27 000 volumes était magnifiquement décorée de bustes antiques destinés à impressionner les visiteurs.

La Fontaine cherchant à tromper son attente, porta son attention, parmi les trésors amassés, sur deux sarcophages de pierre. Ces deux coffres à momies, l'un de basalte noir et l'autre de calcaire blanchâtre étaient décorés de hiéroglyphes et représentaient, croyait-on à l'époque deux pharaons. Ils venaient des bordures de la mer rouge et avaient été achetés à grands frais sur ordre de Fouquet à un marchand d'antiquités de Marseille. La Fontaine fera quelques jours plus tard le récit en vers de son attente sous la forme d'une épître élégamment tournée, de style marotique et nous montrant ses talents d'archéologue de fantaisie. Précisons qu'au XVIIe siècle tous les égyptologues étaient de purs rêveurs aux théories souvent délirantes.

Dans son épître, La Fontaine fait des reproches à son protecteur, vexé d'avoir attendu une heure en vain puis d'avoir été éconduit par un serviteur: Dussé-je une fois vous déplaire, /Seigneur je ne saurais me taire. Il est amer mais ne s'apitoie pas longtemps sur son sort, faisant davantage cas de l'importance de la tâche du surintendant -l'habile homme!- Le Roi, l’État,votre patrie,/ Partagent toute votre vie. La Fontaine conseille même à Fouquet de s'intéresser davantage aux plaisirs de la vie, on reconnais bien là l'esprit de La Fontaine: A jouir pourtant de vous-même /Vous auriez un plaisir extrême.

Notons que Fouquet sans attendre les conseils de La Fontaine ne se privait pas des plaisirs des muses malgré son intense labeur : un escalier dérobé lui permettait de quitter son bureau pour se rendre à ses rendez-vous galants tandis que tous le pensaient au travail. Pour amuser son protecteur, La Fontaine lui parle des sarcophages qui lui avaient été vendus pour ceux des pharaons Céphrim et Kiopès et avec lesquels il s'entretint pendant son heure d'attente.

Et voilà qu'il se met à rire avisant les barbes postiches qui pendent aux mentons de pierre. L'esprit libertin ne quittant jamais La Fontaine, une image se forme dans son esprit, il y voit des phallus ! Vous semble-t-il pas que l'image/D'un assez galant personnage/Sert à ces tombeaux d'ornement ? /

Pour achever son épître, La Fontaine souhaite au surintendant une très longue vie pour pouvoir admirer encore très longtemps sa collection de trésors : Puissiez-vous voir ces belles choses/ Pendant mille moissons de roses. Un an plus tard il sera emprisonné jusqu'à la fin de ses jours.

L'histoire de ces deux sarcophages ne s'arrête pas à la chute du surintendant. Ils furent achetés par Le Nôtre mais celui-ci ne put les faire rentrer dans son pavillon des Petites Tuileries (ils mesurent plus de 2 m de haut et pèsent 300 kg chacun). Il en fit donc présent à son ami monsieur d'Ussé, contrôleur de la maison du Roi qui les emmena dans sa propriété de Touraine. Recevant son beau-père qui n'était autre que Vauban, celui-ci conçut pour eux une niche dans les fortifications du château.

A l'origine, l'intention de Fouquet était, d'après mademoiselle de Scudéry, de leur construire dans le parc de Vaux Le Vicomte deux pyramides à la manière égyptienne. A la vente des terres d'Ussé, nul ne sait ce qu'ils devinrent.

Ils furent retrouvés en 1843 presque entièrement enterrés près de l'abbaye de Lonchamps par un archéologue qui en fit don au musée du Louvre où ils sont aujourd'hui encore conservés sous les numéros D5 et D7. On put alors lire leurs noms, pas du tout royaux, Hor-Keb et Ank-Mer..  Nous pouvons nous aussi aller les observer, au secteur des antiquités égyptiennes du Louvre, comme La Fontaine l'a fait, en riant de bon cœur à son extravagante interprétation.

La Fontaine ou la rêverie égyptienne en image