2022
L’ours craint et mal aimé
Au XVIIe siècle, l’ours, animal très puissant, peuple les nombreuses forêts de France. Il est particulièrement abondant dans les Pyrénées et les montagnards possédaient le privilège exceptionnel de le chasser.
Il n’était pas rare de se trouver nez à nez avec cet animal jugé farouche et cruel en bordure des villages ou en allant chercher du bois. L’ours était classé dans les bêtes mordantes dans les manuels de chasse des riches seigneurs. Ces mêmes seigneurs l’ont souvent utilisé dans leur blason pour inspirer la crainte et montrer leur puissance.
L’ours a donc toujours fait partie de la vie de nos ancêtres et de nombreux récits et légendes sont nés de ce voisinage. Un animal capable de se tenir debout sur ses pattes postérieures, qui nourrit ses petits en position assise et dort pendant tout l’hiver avait de quoi stimuler l’imagination ! Les montreurs d’ours étaient nombreux et sillonnaient tous les pays d’Europe. D’origine tzigane d’abord, puis pyrénéenne, ils les dressaient par des procédés particulièrement cruels, c’est la Première Guerre mondiale qui mit fin à ces spectacles très populaires. Ces animaux peupleront ensuite tous les zoos et les cirques. Quant aux ours en peluche des enfants ils existent depuis le début du XXe siècle, viendront plus tard les feuilletons télévisés avec Nounours, Colargol, Petit Ours Brun....
Joyeuses sont les «fêtes des souffles» très anciennes et qui se déroulent encore aujourd’hui au printemps pour le carnaval dans deux villes : Nontron en Dordogne et Saint-Claude dans le Jura. En effet, après l’hibernation, lorsque l’ours quitte sa tanière, on croyait qu’il expulsait de son anus des bouchons de poils et d’herbes. Ses pets étaient considérés jadis comme les âmes venant de l’au-delà. Lors de ces fêtes, les «soufflaculs», jeunes gens munis de soufflets, défilent en actionnant leurs instruments à hauteur des fesses des spectateurs pour récupérer les pets évacués. À l’origine cela permettait de chasser le démon, particulièrement sous les jupes des femmes, qui comme on le sait est la cachette préférée du diable.
Plus romantique est l’histoire mythologique de la nymphe Callisto changée en ourse pour échapper à la jalousie d’Héra, formant la constellation de la Grande Ourse.
A la cour, le roi Louis XIV reçut en cadeau diplomatique une paire d’ours blancs. Il en fit cadeau à sa favorite Madame de Montespan qui s’empressa de les lâcher dans les appartements de Mademoiselle de Fontange dont elle était jalouse, non sans raisons, et ils saccagèrent alors parfaitement tout. Un opéra connut à la même époque un très grand succès : La Finta Pazza où des dresseurs faisaient danser des ours, des singes et même des autruches. On en mangeait aussi à la table royale, puisque lors d’un banquet, 300 oursons farcis furent servis. La noblesse allemande préférait servir des pattes d’ours, car on s’imaginait que pendant son hibernation l’ours s’alimentait en se léchant la patte droite. Elles semblaient donc investies d’une certaine puissance !
Jean de La Fontaine fait intervenir l’ours dans quelques-unes de ses fables. Il y joue toujours le rôle d’un lourdaud peu intelligent et solitaire. Ainsi, dans L’Ours et le Maître des jardins, lassé de son isolement, même à demi léché, il se trouve un ami humain. Par pure gentillesse, pour chasser la mouche posée sur le nez de son compagnon endormi, il empoigne un pavé et lui lance à la tête ! D’où la morale : «Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ; Mieux voudrait un sage ennemi.»
Dans la fable L’Ours et les deux Compagnons, La Fontaine reprend une morale connue depuis longtemps de toute l’Europe : «Il ne faut jamais vendre la peau de l’ours qu’on ne l’ait mis par terre.» Dans la fable L’Ourse et la Lionne, seule l’ourse, sûre de sa puissance, ose faire des remontrances à la lionne qui importune tous les hôtes de la forêt.
On retrouve beaucoup de vocabulaire lié à ce plantigrade dont «Ours mal léché» que l’on utilise encore aujourd’hui pour une personne bourrue et grossière. «Lécher l’ours», ou l’art de faire traîner en longueur ce qui pourrait être bref. Cette expression vient de ce que l’on pensait que les oursons étaient un tas de chair informe et que c’est leur mère qui à force de les lécher très longtemps, les façonnait, action bien évidement aussi longue qu’inutile. Quant à «L’homme qui est monté sur l’ours», on imagine bien que cette formule s’adressait à un courageux hors norme !
J’ai essayé dans mon article de bien vérifier mes sources et surtout de ne pas faire comme «L’homme qui a vu l’homme, qui a vu l’ours...»