19 JANV.
2023

Enquête à la cour de Versailles ou la dédicace du second recueil de fables

Pourquoi La Fontaine dédicace-t-il son second recueil de fables(1678) à Madame de Montespan ?

Rappelons que son premier recueil est dédicacé au tout jeune Dauphin en 1668. La Fontaine reste ainsi dans la très ancienne tradition qui veut que les enfants et particulièrement ceux issus d'un haut lignage éveillent leur esprit critique, appuient leur savoir et leur connaissance de l'esprit humain grâce aux fables. La fable est donc utilisée comme outil pédagogique.

On sait que La Fontaine apprit le latin en traduisant les fables de Phèdre au collège et c'est sûrement ainsi qu'il y prit goût. Il ne cessera d'ailleurs de clamer son admiration pour ses maîtres anciens : Ésope, Phèdre, Faërne ou Verdizotti.

Mais revenons à Madame de Montespan. Elle est en 1678 la véritable reine de Versailles, maîtresse du roi depuis douze ans. Son esprit particulièrement caustique, cinglant, la fait craindre de tous c'est le fameux esprit Mortemart ! 

Elle peut être blessante, moqueuse et ce, avec beaucoup d'esprit et d'éloquence. Lorsque Louis XIV passait ses troupes en revue accompagné de Madame de Montespan, les hommes d'armes craignaient davantage le jugement de celle-ci que celui de leur monarque ! On imagine mal La Fontaine si paisible se confrontant à l'esprit d'Athénaïs de Montespan.

Voilà peut-être la clé de cette énigme : il existe un troisième personnage qui saura faire l'intermédiaire entre le poète et la maîtresse.

Cette personne c'est Madame de Thianges, autrement dit la sœur aînée de Madame de Montespan. Cette dame très belle, gaie et intelligente a toujours plu au roi même après la disgrâce de sa sœur. Gabrielle de Thianges aimait la littérature de son temps : elle déclamait Racine, Corneille et bien sûr, sur un autre registre, La Fontaine.

Elle influença sa sœur en lui donnant le goût des lettres et s'unit à elle pour proposer au roi le choix de Boileau et Racine comme historiographes de sa Majesté.

Toutes deux arrivèrent à convaincre également le roi de choisir La Fontaine comme nouveau librettiste du prochain opéra de Lully. On peut imaginer le bonheur de La Fontaine recevant cette commande de la cour, lui qui ne désirait rien tant que de briller dans tous les genres littéraires. Il se mettra au travail avec acharnement, ne recevant que des critiques maussades de Lully -qui ne lira jamais une ligne du livret- et qui le priera de recommencer encore et encore, pour finalement ne pas le choisir. Son livret d'opéra Daphné ira directement aux oubliettes ! Ce sera le seul courroux public de La Fontaine et Madame de Thianges lui recommandera de la modération pour éviter le ridicule.

Pour comprendre à quel point Madame de Thianges appréciait La Fontaine, il faut revenir sur un cadeau extraordinaire. Elle offrit à son neveu le duc du Maine, fils du roi et de sa sœur, pour ses étrennes de 1676 « La Chambre du Sublime ». C’était une maquette toute dorée, grande comme une table, représentant des personnages en cire entourant le jeune duc. Il est assis devant sa gouvernante Madame de Maintenon. Gabrielle se fait représenter elle-même en train de lire avec son amie madame de Lafayette.

Boileau au fond armé d'une fourche empêche les mauvais poètes d'entrer par une porte. Racine quant à lui fait signe à La Fontaine un peu à l'écart de se rapprocher. Ce très bel hommage a dû réconforter La Fontaine. En effet, il n'avait pas été cité dans L'art poétique ouvrage de référence de Boileau publié moins de deux ans auparavant.

C'est ainsi que Madame de Thianges va rendre un hommage public à La Fontaine devant toute la cour.

On a moins de mal à imaginer maintenant pourquoi La Fontaine dédicaça son second recueil de fables à la femme la plus en vue de la cour, car les deux sœurs, même si elles se chamaillaient souvent, s'entendaient très bien.

C'est proprement un charme(la fable) :

Ou plutôt il la tient captive,

Nous attachant à des récits

Qui il rend l'âme attentive,mènent à son gré les cœurs et les esprits. …..

Olympe (nom poétique de Mme de Montespan) c'est assez qu'à mon dernier ouvrage

Votre nom serve un jour de rempart et d'abri:

Protégez désormais le livre favori

Par qui j'ose espérer un seconde vie.

Cela permit à La Fontaine de placer ses fables sur un autre registre, moins enfantin, plus philosophique, plus politique aussi.

Cette dédicace à une femme spirituelle indiquait que les futurs lecteurs devenaient des adultes avertis. Il y dénonce les tares d'une société qu'il apprécie tout de même, avec toujours ce regard malicieux, bienveillant et mélancolique.

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