2023
De quoi riait-on au XVIIe siècle
"Qui veut rire à double mâchoire, qu'il vienne lire cette histoire"
Il ne fait aucun doute que notre sens de l'humour a beaucoup évolué et que la malice d'hier n'est que peu comparable avec celle d'aujourd'hui. Il existait de nombreux recueils de facéties et d’histoires drôles appelés "gausseries" ou "chasse ennui", très populaires et qui animaient les soirées des bourgeois du grand siècle. On vous donnait des conseils expérimentés pour réjouir la compagnie en jouant de bons tours à vos invités et "rire à ventre déboutonné".
Ainsi le comique Tabarin révèle ses recettes pour réussir une réunion entre amis : mélangez des noix de galles et du vitriol en égale portion, mettez cette poudre sur la serviette de votre invité, rien n’apparaît, mais lorsque celui-ci s'essuiera, "sa face demeurera aussi noire qu'un maure". Tabarin conclut "c'est un secret fort plaisant !". On imagine sans difficulté les ravages provoqués par le vitriol...
Après le tour de la serviette, on peut aussi rire au moment de la salade : on y ajoute de l'herbe de Iarus, ainsi le convive visé ne pourra plus avaler un morceau car sa gorge sera bloquée. Il suffit alors, nous dit Tabarin, après que tout le monde aura bien ri, de faire gargariser votre hôte avec un peu de vinaigre fort pour que tout disparaisse. Notons que cette plante toxique provoque des inflammations et œdèmes des muqueuses buccales allant parfois jusqu'à l’asphyxie...Un autre jeu nous est plus familier, celui du poil à gratter. Mais évidemment ce qui est le plus drôle c'est de prévoir où cela va démanger. Tabarin nous conseille de pulvériser de l'alun de plume sur le "privé", ainsi le premier invité qui ira se soulager reviendra montrer malgré lui quel effet cocasse cela produit sur son postérieur.
Il n'y a pas qu'à la table des bourgeois que l'on rit, on rit aussi à Versailles. Quelquefois comme des adolescents d'aujourd'hui, telles les filles illégitimes de Louis XIV qui allumèrent des pétards en pleine nuit sous les fenêtres de Monsieur, frère du roi. Quelle insolence de la part des bâtardes de sa Majesté ! Louis aimait lui aussi jouer quelques tours à sa chère amie Madame de Thianges avec laquelle il soupait souvent en toute intimité. Il fit faire une tourte très spéciale par ses gens de bouche. Quelle ne fut pas la stupéfaction de la duchesse en mordant dedans de la découvrir pleine de cheveux baignant dans la sauce ! La fureur de Madame de Thianges amusa fort le roi car elle avait un caractère volcanique bien connu à Versailles et il aimait beaucoup l'aiguillonner.
Mais le roi ne riait pas toujours, ce fut le cas lors de la première représentation de la comédie ballet Monsieur de Pourceaugnac écrite par Molière et dont la musique fut composée par Lully. Le roi, et donc automatiquement sa cour, ne s'amuse pas du tout. Lully va sauver le spectacle en sautant à pieds joints et au bon moment sur son clavecin après une superbe pirouette, passant au travers et pulvérisant l'instrument en mille morceaux. L'effet inattendu et comique eut un résultat énorme sur le roi qui se mit à rire à gorge déployée et à applaudir, suivi bien sûr de tous les courtisans. Un rire royal est tout à fait exceptionnel, car le roi ne doit jamais montrer ses sentiments, il se doit de contrôler son corps et s'il rit c'est doucement, s'il applaudit c'est du bout des doigts, du moins en public. Le rire est considéré comme vulgaire, primitif. Pour les femmes, c'est encore pire : glousser c'est se rapprocher de l'animalité, c'est inconvenant, digne d'une effrontée. Heureusement que l'on peut se cacher derrière son éventail.
À la cour on se moque abondamment, surtout des manquements à l'étiquette. Les nobles provinciaux en sont la première cible. Le rire railleur devient alors une arme qui peut ruiner des carrières et qui oblige certains à partir rejoindre leurs terres pour se faire oublier. L'Église choisit d'exclure de la religion les comiques, jongleurs et comédiens, leur refusant une sépulture en terre consacrée. Ceux-ci n'étant pas considérés comme faisant partie des honnêtes gens.
Marie-Anne Mancini, future duchesse de Bouillon, qui deviendra l'amie de Jean de La Fontaine lors de ses séjours au château de Château-Thierry eut droit à une plaisanterie organisée par les courtisans de Versailles. Elle n'était âgée que de six ans lorsqu'un matin de bonne heure, alors qu'elle était sagement endormie dans son lit, ils installèrent à côté d'elle un nouveau-né. Ensuite, ils entrèrent dans la chambre en faisant grand bruit pour la réveiller. Ils firent semblant de la gronder, d'être indignés et la questionnèrent sur la paternité de cet enfant dont elle avait soit-disant accouché pendant la nuit. La petite chercha innocemment qui elle avait bien pu embrasser la veille et ne se rappela que d'avoir fait une bise au roi...
Dans l’œuvre de La Fontaine, on s'amuse principalement des cocus, des vieux maris ridiculisés par les malices et stratagèmes des jeunes amants pour arriver à leur fin. Ces contes ne déclenchent pas de gros rires rabelaisiens, au contraire. Ils sont lus dans des salons très distingués pour une noblesse raffinée. Il s'agit donc plutôt de badiner, de suggérer seulement avec grâce et surtout pour notre poète, de plaire aux beaux esprits.
"Ventre d'un petit poisson, rions ! "
(Phrase située en tête de tous les ouvrages facétieux et plaisants du XVIIᵉ siècle.)