08 JANV.
2023

Chapeau monsieur La Fontaine !

Pour l'homme du XVIIe siècle, le chapeau n'est pas qu'un ornement. Il est d'abord et avant tout le signe de l'appartenance sociale, mettant en avant la bienséance et l'enregistrement des codes sociaux dans une société très hiérarchisée. "Propre, toujours rasé, bien disant et beau fils, / Sur son chapeau luisant, sur son rabat bien mis / La médisance n'eût su mordre." (Le Tableau)

Toutes les têtes masculines portent le chapeau. Pour les nobles il est fait des plus belles matières, castor ou feutre, décoré richement d'or et de pierres précieuses. Pour les bourgeois, comme La Fontaine, il est de belle facture avec interdiction d'y mettre des ornements trop ostentatoires. L'homme modeste devra se contenter d'un chapeau d'occasion acheté chez le marchand en vieux. Quant aux plus démunis, ils se doivent d'avoir eux aussi un chapeau sur la tête même s'il est usé ou déchiré. Les bourgeois qui voyagent pour leurs affaires s'en procurent un très abîmé pour tromper les détrousseurs. Lorsque que l'on fait des distributions de vêtements aux pauvres, le chapeau n'est jamais oublié. Celui-ci permet de réintégrer un rang minimal dans la société et de demander l’aumône. L'habit et le chapeau donnent au premier coup d’œil le niveau social et même le métier de ceux que l'on croise. "Il s'habille en berger, endosse un hoqueton, /Fait sa houlette d'un bâton, / Sans oublier la Cornemuse. / Pour pousser jusqu'au bout la ruse, / Il aurait volontiers écrit sur son chapeau : / "C'est moi Guillot, berger de ce troupeau." (Le Loup devenu Berger). Quoi de plus facile de passer pour un autre pour pouvoir approcher une belle convoitée sous le nez du mari, il suffit de changer de costume sans oublier la coiffure : "En Page incontinent son habit est changé : /Toque au lieu de chapeau, haut de chausses troussé : / La barbe seulement demeure au personnage" (Le petit Chien). La Fontaine ne s'est pas privé dans ses contes d'utiliser le déguisement pour duper les maris. "Adresse, force et ruse et tromperie, / Tout est permis en matière d'amour." L’ornement essentiel du chapeau est la plume, elle varie aussi selon le statut social. Les plumes d'autruche ou de héron sont les plus chics. Le bourgeois se contentera de cygne ou de paon et le paysan mettra une plume de coq, facile à trouver, pour embellir sa coiffure. Et que seraient nos mousquetaires sans leurs grands chapeaux à panache saluant d'un grand cercle de bras jusqu'au sol! Dans la vie quotidienne, l'honneur se manifeste surtout dans le geste du salut : on ôte d'abord son chapeau, on peut faire une génuflexion puis un mouvement du chapeau avec une inclinaison du buste plus ou moins importante selon le respect que l'on porte à celui que l'on salue. A la cour, le roi est salué même en son absence physique : ses sujets se découvrent dans les appartements royaux saluant ainsi les signes de la royauté. Pendant les repas il est de mise de rester couvert en présence du roi et si l'on s'adresse à Sa Majesté, on se découvre. Lors des promenades dans les jardins le cérémonial s'inverse : il est le seul à garder son chapeau. A Marly c'est le contraire, quand le roi sort du château il s'exclame "Le chapeau, messieurs!" et tous se couvrent. Il faut être au fait de l'étiquette lorsque l'on est dans l'entourage de Sa Majesté! A Versailles, tout le monde peut entrer dans les jardins comme dans le palais pour les visiter et tenter d'apercevoir le roi à condition d'être correctement habillé. Obligation est faite de porter une épée et surtout un chapeau pour saluer tous les grands du royaume. Nombreux sont ceux qui se plaignent d'habiter un pays où le chapeau n'a point été fait pour couvrir la tête et où tout le monde devient bossu à force de faire des courbettes... Si le chapeau féminin disparaît complètement au XVIIe, les femmes cependant ont la tête toujours couverte, le contraire n'étant pas imaginable. Mais le chapeau devient un attribut exclusivement masculin et si une femme s'en coiffe cela lui donne un très mauvais genre. Une femme sera jugée plus convenable avec une toque, un bonnet ou un chapeau de paille en été. A la cour les femmes portent des couvre-chefs de plus en plus réduits, faits de rubans ou de dentelles au point de ne couvrir qu'en partie la chevelure qui est mise en valeur. La coiffe de soie est réservée aux nobles dames, les bourgeoises devant se contenter de drap ou de velours. Mais la belle qui lancera la mode d'une coiffure légère et délicate sera Marie-Angélique de Fontanges, favorite du roi Louis XIV. "Votre beauté vient de la main des dieux" flattera La Fontaine. Pendant une partie de chasse, à cause du vent, elle perdit sa coiffe et se fit rapidement relever les cheveux avec ce qu'elle avait sous la main : les rubans de sa jarretière. Le roi fut conquis, la coiffure à la fontange était née et sa mode allait durer presque trente ans. Chez soi, pour être à l'aise, on porte le bonnet. Il est selon la saison, de chanvre, de lin, de tricot et même fourré. N'oublions pas le bonnet de nuit qui permet d'avoir un peu chaud à la tête pour dormir dans les logements riches ou pauvres mais de toute façons mal chauffés. "La nuit vient : on le coiffe ; on le met au grand lit."(Le Gascon puni) Le chapeau peut aussi devenir thérapeutique en le bourrant de plantes et d’aromates, très salutaire aux vieillards sensibles aux vertiges et aux pertes de mémoire. N'oublions pas la cornette de nuit, macérée dans les senteurs et qui promet de préserver le visage des rides. En cas d'épidémie, il est recommandé de remplir son chapeau de sauge et de romarin pour purifier l'air. Le chapeau et le bonnet font partie aussi de l'arsenal juridique. Le bonnet vert est destiné à ceux qui ont fait banqueroute et c'est le bourreau qui le place sur la tête du condamné qui est exposé au pilori. "Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressources, / Prêts à porter le bonnet vert." (La Chauve -Souris, le Buisson et le Canard) Le chapeau d'infamie est de papier, utilisé uniquement dans le cadre de peines judiciaires. Il matérialise la perte de l'honneur, c'est une grave humiliation. Le péché est inscrit sur le chapeau, il participe ainsi au cérémonial des peines. Les chapeliers travaillent dans toute la France au gré des modes. La Picardie était réputée et l'on a gardé la trace d'un certain Gilles Rideau, marchand chapelier de Fère en Tardenois qui livre à Paris des chapeaux fort noirs à la mode de Lorraine. Aujourd'hui, le chapeau ne joue plus le même rôle social que dans les siècles précédents mais il nous reste de nombreuses expressions que nous employons encore : Manger son chapeau de rage; Chapeau bas! ; Tirer son chapeau à quelqu'un ; Coiffer sainte Catherine; Porter le chapeau; et une expression passée de mode : Le chapeau commande à la coiffe.

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