18 OCT.
2022

Antoine Furetière, ami puis ennemi de Jean de La Fontaine

Lorsque l’on s’intéresse à Jean de La Fontaine et au XVIIe siècle en général, on ne peut que tomber un jour ou l’autre sur le nom d’Antoine Furetière.

Ami de jeunesse puis ennemi acharné de notre fabuliste, il est l’inventeur d’un grand dictionnaire tout à fait révolutionnaire pour son époque. Cet ouvrage est aujourd’hui une fenêtre pour comprendre le grand siècle et sa pensée. Sans celui-ci, son fonctionnement, son langage, nous semblerait aujourd’hui bien peu intelligible.

Furetière est né en 1618, il a donc quasiment le même âge que Jean et ils se rencontrent tous deux étudiants à Paris où ils fréquentent tavernes et cabarets pour y discuter de littérature et mener joyeuse vie. Il devint lui aussi avocat et ne rêvait également que de réussite poétique. Il s’achète une charge de procureur fiscal à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés car le métier d’écrivain à cette époque est peu rémunérateur. Les richesses de l’église s’ouvrent à lui lorsqu’il se fait abbé. Il remporte des succès avec ses publications de critiques et ses satires puis est élu à l’Académie française en1662. Il va quelques années plus tard écrire lui aussi des fables, peut-être pour faire contre-point au succès de La Fontaine. C’est un échec et il en conservera beaucoup d’amertume.

A cette époque il n’existait pas de dictionnaire de français, il s’agissait plutôt d’ouvrages français-latin car l’important était de trouver le bon mot pour travailler les versions latines. L’Académie était censée travailler à un dictionnaire de français, mais ces messieurs préféraient les mondanités et les intrigues... Voici comment un témoin, ami de Racine, décrit une séance du dictionnaire « J’y ai vu onze personnes. Une écoutait, une autre dormait; trois autres se sont querellées; et les six autres sont sorties, sans dire mot.»

Ce ne sera qu’à l’arrivée du très craint ministre Colbert, nouvellement élu, que le dictionnaire va commencer réellement à prendre forme. L’Académie recevra privilège exclusif pour sa publication. Mais Antoine Furetière enrage, les avancées sont minimes alors qu’il se passionne pour cet ouvrage. D’autre part, ces messieurs refusent de publier des termes qu’ils jugent vulgaires et indignes car venus du peuple et du commerce. La langue doit être pure et sévère et les mots fixés pour toujours. Furetière ne supporte pas que les Académiciens s’attribuent le monopole des mots et la pureté de la langue alors que pendant les séances du dictionnaire ils sont capables de s’injurier comme des charretiers. Il s’adresse au roi, ironisant sur l’Académie : «Ils ont d’abord déterminé de donner au public un grand dictionnaire, mais quoi qu’il soit leur fils aîné, il comptera cent ans le jour qu’il sera né.». Féroce, il publie une satire où une vieille déesse enceinte depuis plus d’un demi-siècle accouche de la moitié d’un fœtus aux dents longues et à la barbe touffue.

Furetière travaille depuis quarante ans à cet ouvrage qui prend en compte tout le langage français couramment utilisé au XVIIe siècle et il ne tolère plus le snobisme et l’immobilisme des académiciens. La Fontaine tâche lui aussi de convaincre ceux-ci dans un plaidoyer pour «les pauvres mots qui se lamentent d’être exilés. Ces mots ne sont ni bizarres, ni nouveaux, étranges ni barbares; mais ce sont de bons vieux bourgeois, vrais originaires français.»

Face aux colères et aux écrits satiriques où il ridiculise ses éminents confrères, Furetière sera rayé de la liste des membres de l’Académie et interdiction sera faite aux imprimeurs d’éditer ses ouvrages.
Lors de la séance portant sur l’exclusion de Furetière, La Fontaine vote pour. Il venait d’entrer, non sans mal, à l’Académie en 1684 et suivra le courant majoritaire. Furetière se déchaînera alors contre La Fontaine, au sujet de ses fables dont il semble jaloux «Dangereux inventeur de cent vilaines fables», de ses contes qu’il juge orduriers, de son incompétence en tant que Maître des Eaux et Forêts, et de sa fréquentation de l’Académie dans le seul but d’être payé*.

Pour montrer à quel point Furetière était sérieux pour concevoir son ouvrage, au moment de rédiger des articles sur le bois, il se renseigne auprès de La Fontaine, qui était encore son ami à ce moment-là. Sachant qu’il est Maître des Eaux et Forêts, quoi de plus naturel. Le problème c’est que notre fabuliste est incapable d’expliquer ce qu’est le bois de grume ni celui de marmenteau. Plus tard, au moment de régler ses comptes avec celui qu’il nomme Judas, il se souviendra de l’ignorance du Maître et s’en moquera publiquement. La Fontaine lui répondit : «Toi, qui de tout as connaissance entière, / Écoute, ami Furetière, / Lorsque certaines gens / Pour se venger de tes dits outrageants /Frappaient sur toi comme sur une enclume, /Avec un bois porté sous le manteau; / Dis-moi si c’était bois en grume / Ou si c’était bois marmenteau ?».

Furetière ne vit pas paraître son dictionnaire, il fut édité deux ans après sa mort, en Hollande en 1690. Les services de police, ne firent rien pour stopper la diffusion de l’ouvrage car on lui trouva beaucoup de mérite, au grand saisissement des académiciens. Lorsque le dictionnaire de l’Académie parut enfin en 1694, il fut très critiqué, jugé pauvre, puriste, plein d’erreurs, médiocre...Il comptait 8000 mots contre celui de Furetière riche de 40 000. Furetière l’avait déjà annoncé en nommant leur dictionnaire : «Le grand bêtisier de France, ou le dénombrement de sottises qui se font en ce vaste royaume, par ordre alphabétique.»

* Chaque membre recevait des jetons de présence qu’il pouvait ensuite transformer en argent. Création à l’initiative de Charles Perrault qui savait plusieurs académiciens dans le besoin.

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